Page:Vallès - L’Insurgé.djvu/150

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Pont — tribune de pierre de ce socialiste acculé dans la famine et s’échappant dans la mort.


Lefrançais rappelle cet homme, avec son visage jaune et pensif, troué de deux yeux profonds et doux. On dirait, au premier abord, un résigné, un chrétien. Mais le frémissement de la lèvre trahit les ardeurs du convaincu, et le « prenant » de la voix dénonce l’âme de ce porteur de riflard. La parole jaillit, chaude et vibrante, dans un trémolo de colère ; mais, de même qu’il a l’habit de tout le monde et le chapeau plat, il a le geste simple. Sa phrase ne flambe point — quoiqu’elle brûle !

Cette tête de rêveur ne s’agite pas sur le buste chétif qu’elle surmonte, son poing fermé n’ébranle pas le bois de la tribune, son geste ne boxe pas la poitrine de l’ennemi.

Il s’appuie sur un livre, comme quand il était instituteur et surveillait la classe.


Parfois même il semble, en commençant, faire la leçon et tenir une férule ; mais, dès qu’il arrive aux entrailles de la question, il oublie l’accent du magister et devient, soudain, un frappeur d’idées qui fument sous son coup de marteau à grande volée. Il cogne droit et profond ! C’est le plus redoutable des tribuns, parce qu’il est sobre, raisonneur… et bilieux.

C’est la bile du peuple, de l’immense foule au