Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/151

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Je dois y être !… Ma place n’est pas dans ce lit d’hôtel. Je vais essayer de repartir, d’aller voir…

Mais le sommeil m’accable, mais mes jambes refusent le service, mais j’ai le bras droit qui est lourd comme si j’avais un boulet au bout.

Encore des coups de fusil !

Oh ! je descendrai tout de même !

Tout le monde dort dans la maison, excepté deux ou trois personnes qui jouent aux cartes.

Il y en a un qui dit : Quatre-vingts de rois ! et l’autre qui répond : « Dis plutôt quatre-vingts d’empereurs ! »

Et je croyais qu’on se battrait, que les jeunes gens se feraient hacher jusqu’au dernier ! — Cinq cents de bésigue, quatre-vingts d’empereurs…

J’ai pu me traîner jusque dans la rue. Comme elle est noire !… Je descends jusqu’au pont. Des factionnaires montent la garde.

« Où allez-vous ? »

Si j’avais du courage, si j’étais un homme, je leur dirais où je vais… où je crois de mon devoir d’aller. Je crierais : À bas Napoléon !

Je regretterai plus d’une fois peut-être dans l’avenir, de ne pas avoir poussé ce cri et laissé là ma vie…

J’ai balbutié, tourné à gauche…

La Seine coule muette et sombre. On dit qu’on y a jeté un blessé vivant et qu’il a pu regagner l’autre rive en laissant derrière lui un sillon d’eau sanglante. Il est peut-être blotti mourant dans un coin. N’y a-t-il pas quelque part une flaque rouge ?