Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/156

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un écolier rebelle — il se vantait de les mater tous — la fièvre d’ignominie qui était alors dans l’air ! et aussi — je l’ai su depuis — une aventure de femme à la suite de laquelle il avait été ridicule et malheureux ; tout cela avait affolé cet homme qui avait déjà, de par son métier, l’âme malade et appauvrie.

Ma mère, depuis le jour où je lui avais crié combien ma vie d’enfant avait été douloureuse près d’elle, ma mère avait ménagé mon cœur avec des tendresses de sainte. Seulement elle était si loin de comprendre les révoltes, les barricades, les coups de fusil sur l’armée !

Elle ne me reprochait rien, mais au fond, je crois, me trouvait criminel. Malgré elle, ses pensées de bourgeoise honnête donnaient raison à son mari et m’accusaient. Sa main prenait la mienne dans les coins quelquefois, mais ses yeux se tournaient en même temps vers le ciel, comme pour demander pitié ou pardon pour moi ! Pauvre femme !


Elle promène sa douleur muette entre nos deux colères.

« Je vais chercher le médecin, dit-elle un jour.

— Je suis mieux.

— Laisse-moi faire, mon enfant. C’est pour qu’il voie bien que ce n’est pas une blessure. Il le fera savoir dans la ville. »

Le docteur arrive, me demande ci, ça… — Je ne vais pas lui conter ce que j’ai dans le cœur. À lui de voir ce que j’ai à l’épaule.