Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/173

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Non plus pour avoir des répétitions, mais pour obtenir de partir sur un navire qui m’emmènera loin de mon père qui a si peu de chance, loin de ma mère qui est si désolée, loin de ce quai qui est si vide, loin de ce coin de France qui ressemble si peu au grand Paris : ce Paris où j’ai souffert, mais où toute douleur a son remède et toute passion son écho !


J’irai n’importe où : là où il y a la fièvre jaune, la peste noire, la loi de Lynch, mais où je pourrai défendre ma liberté à coups de fusil, ou à coups de couteau. Je me ferai chercheur d’or ou chasseur de buffles ; j’irai peut-être avec des aventuriers envahir un pays, tuer un roi, relever une République — ce qu’on voudra ! Ou bien je vivrai sur un corsaire, quitte à être pendu et à mourir en tirant la langue au bout d’une vergue…


C’est entendu. J’essaierai de m’évader sur l’Océan.

Je vis avec les marins. Quelques-uns de mes anciens condisciples ont été pilotins ou mousses. Le frère aîné de l’un d’eux est lieutenant sur un vaisseau marchand ; dans quelque temps il doit repartir pour un voyage au long cours. Il me prendra ; j’aiderai à bord pour payer ma place. En attendant, il noce comme un matelot qui a touché sa paye et il m’entraîne dans ses orgies.

Quelles soirées, devant les bouteilles dont on fait des massues, dans ces bouges où l’on se soûle et où l’on s’assomme !