Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/181

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pouvions tout voir, abrités derrière un bouquet d’arbres.

Il m’est venu des idées folles par la tête. J’aurais voulu être le témoin du blessé, prendre l’épée tombée de ses mains.

J’ai honte de vivre comme un crapaud dans une mare ; je voudrais sortir de mon silence et de mon obscurité — par besoin d’action ou par orgueil, je ne sais pas !…

Legrand est comme moi — pis encore…

C’est un homme de théâtre.

Je crois sur ma parole qu’il préférerait être blessé, pour avoir un plus beau rôle, une plus belle scène, pour tâter la place qu’a fouillée l’épée, et tourner sa tête sur son cou comme cela se fait dans les beaux moments des mélodrames.

Il le voudrait, il en crève d’envie, j’en suis sûr !

Je suis plus lâche…

Je ne comprends pas pourtant qu’on ait peur d’un duel. Est-ce parce que je trouverais là l’occasion d’être l’égal d’un riche, et même de faire saigner ce riche, de le faire saigner dur, si le fer entrait bien ?…

Est-ce parce que je me figure qu’on ne peut pas me tuer ? Je me sens trop de force ! Mourir, allons donc ! J’ai encore à faire avant de mourir !


En me tâtant, j’ai vu que j’avais autant que ces viveurs ce qu’ils appellent le courage du gentilhomme. Je ne manquerais pas de toupet sur le terrain.

Ah ! je crois bien ! Il y a eu deux ou trois occasions