Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/184

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Elle dit cela d’une voix grave et me conduit jusqu’au salon dont les volets sont baissés. Une lettre encadrée de noir est sur la table, mon père me la montre et dit :

« Tu te rappelles mademoiselle Balandreau ? »

Oh ! J’ai compris… et les larmes me sortent des yeux.

« Morte… Elle est morte ?…

— Oui : mais elle te fait son héritier. »

Mes larmes coulent aussi fort. — Je regarde à travers ces larmes dans mon passé d’enfant.

« Elle te laisse 13,000 francs et son mobilier. »

Son grand fauteuil ? La table où elle mettait la nappe pour moi tout seul ? Sa commode avec des crochets dorés ? La chaise où je m’asseyais — meurtri quelquefois !… Brave vieille fille !

Ma mère reprend :

« Mais tu es mineur. »

Ah ! je m’en aperçois bien ! Si j’avais vingt-un ans, je ne serais pas ici. Pourquoi n’ai-je pas vingt-un ans !… Avec ces 13,000 francs- je retournerais à Paris — on aurait de quoi acheter des armes pour un complot, de quoi payer un gardien pour faire évader Barbès…

Il m’en passe des rêves par la tête ! Des rêves qui brûlent mes pleurs et me font déjà oublier celle qui a songé à moi en mourant. Ma mère me ramène à la lettre encadrée de noir… mais je l’arrête.

Je me suis enfermé seul avec ma douleur.

J’ai pleuré toute la journée comme un enfant !