Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/193

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Par le soleil d’aujourd’hui, avec ce linge blanc et ce bouquet, le petit restaurant, où je viens d’entrer, a l’air de gaieté honnête qu’avait par exception tous les trois ou quatre ans la maison Vingtras !

Les joies du foyer, mais les voilà ! Je n’ai pas besoin de ma famille pour les savourer ; madame Petray peut me servir un bon dîner sans m’avoir donné le jour ; le père Petray a l’air plus aimable que mon père : il a une toque aussi et un uniforme, mais c’est beaucoup plus joli que le costume de professeur, son costume de cuisinier.


« Garçon, l’addition !

— Vingt-quatre sous ! »

J’ai eu une julienne, une côtelette Soubise, un artichaut barigoule, un pot de crème, mon café.

Les puissants ne dînent pas mieux, voyons !

Quelle demi-heure exquise je viens de passer !

Je m’essuie la bouche en lisant un journal, le dos contre le mur, un pied sur une chaise ; je fais claquer entre mes dents de marbre le bout de mon cure-dent.


L’égoïsme m’empoigne !

Si je gardais pour moi, si je caressais, encore une heure, cette sensation du premier repas fait sans autre convive que ma liberté ?

Je retrouverai les camarades demain, rien que demain.