Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/232

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Cet œuf m’a refait — on me donne un œuf après tous les cinq jours, pour que je ne meure pas.

Heureusement, un gros croûton — mais les Entêtard ne paient pas souvent le boulanger, et celui-ci leur fournit des pains qui ont beaucoup de cafards.

La maison n’a que des demi-pensionnaires qui apportent leur déjeuner dans un panier et qui le mangent en classe à midi — un déjeuner qui sent bon la viande !

Moi je dévore mon croûton avec une goutte de raisiné qui me poisse la barbe, ou avec mon œuf qui me clarifie la voix. Ce serait très bon si je voulais être ténor ; mais je ne veux pas être ténor.

J’ai bien plus faim, je crois, que si je ne mangeais rien.

Au bout de huit jours, je suis méconnaissable ; j’ai eu, c’est vrai, l’albumine de l’œuf, — et l’on dit que l’albumine c’est très nourrissant. — Mais l’albumine d’un seul œuf tous les quatre jours, c’est trop peu pour moi.


Le soir, Legrand et moi nous dépensons neuf sous pour le dîner-soupatoire, neuf sous !… Nous avons vendu à un usurier mon mois d’avance, et il nous donne neuf sous pour que nous lui en rendions dix à la fin du mois.

C’est le père Turquet, mon friturier maître d’hôtel, qui nous l’a fait connaître. Nous aurions bien voulu avoir les treize francs dix sous d’avance et d’un coup. On aurait pu faire des provisions ; ça coûte bien