Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/31

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Je ne connais malheureusement que sa figure et son petit nom. Matoussaint l’avait baptisée Torchonette.


Je bats la rue des Vieux-Augustins en longeant les trottoirs et cherchant les fruitières : il y en a deux ou trois. Je me plante devant les choux et les salades en regardant passer les femmes ; toutes me voient rôder avec des gestes de singe, car je fais des grimaces pour me donner une contenance et je me tortille comme quelqu’un qui pense à des choses vilaines… je dois tout à fait ressembler à un singe.

Je ne puis pas aller vers les fruitières et leur dire :

« Avez-vous une nièce qui s’appelle Torchonette et qui aimait M. Matoussaint ? Avez-vous un parent qui se soûlait tous les jours à la Bastille ? »

Je ne puis qu’attendre, continuer à marcher en me traînant devant les boutiques, avec la chance de voir passer Torchonette.

J’ai eu cette bêtise, j’ai eu ce courage, comptant sur le hasard, et je suis resté des heures dans cette rue, toisé par les sergents de ville ; mon attitude était louche, ma rôderie monotone, inquiétante.

Il y avait justement une boutique d’horloger et des montres à la vitrine voisine. Si dans la soirée on s’était aperçu d’un vol dans le quartier, on m’aurait signalé comme ayant fait le guet ou pris l’empreinte des serrures. J’étais arrêté et probablement condamné.


À l’heure du déjeuner, j’ai eu vingt alertes, croyant vingt fois reconnaître l’amoureuse à Matoussaint, et