Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/329

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gribouillages. J’ai enlevé, comme des lambeaux de chair, quelques phrases douloureuses et brutales.

J’arrive chez Mariani.

« Vous ne pourrez jamais lire, dis-je en déployant mon manuscrit.

— Eh bien, lisez vous-même ! »


Je lis — très pâle ma foi ! Mais à mesure que je retrouve le fond de mon cœur à travers ces ratures et dans ces explosions de phrases, le sang me revient dans les veines et ma voix sonne haute et claire.

Le rédacteur en chef m’écoute, l’œil tendu, et dit de temps en temps tout bas :

« C’est bien, bien… »

J’ai fini, j’attends mon sort.

« Mon ami, vous avez écrit là un morceau qu’il ne faut pas perdre. Mettez-en les tranches dans votre poche, et boutonnez bien votre habit par-dessus. — Que les mouchards ne vous voient point ! Il y a dans vos trois cents lignes trois ans de prison. Vous comprenez que je ne puis vous prendre un article qui a tant de choses dans le ventre. Je vous le paierai — et de grand cœur — mais je ne vous l’imprimerai pas !

— Alors, il n’y a pas à me le payer.


— Pas de fausse honte — il ne faut pas avoir travaillé pour rien, d’ailleurs vous m’avez empoigné, je vous le promets, pour l’argent que je vous donnerai !