Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/397

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comme lui — légitimistes aussi — qui venaient le trouver là, et qui faisaient les incroyables, et parlaient du Roy en pirouettant sur leurs bottes sans semelles — sur leur talon rouge de froid, l’hiver — noir l’été.

Cette idée d’être royalistes avec si peu de souliers et en habit boutonné par des ficelles, nous inspirait presque le respect ; mais leurs allures étaient souvent impertinentes. Ils avaient l’air de dire « Ces manants ! » en nous toisant. Les opinions, en tout cas, étaient bien tranchées.

L’Odéon appartenait à deux partis extrêmes : les henriquinquistes, commandés par l’homme au lorgnon, dont la femme était blanchisseuse, — les républicains avancés dont je paraissais être le chef, à cause de ma grande barbe et de mes airs d’apôtre, — j’allais toujours tête nue.

Je suis tête nue ; il y a une raison pour cela.


J’ai depuis un temps infini un chapeau trop large cédé par un ami.

Avant, j’en avais un trop petit. J’étais obligé de le tenir à la main, derrière mon dos.

Cette pose me fait mal juger par les esprits étroits, par des gens qui ont des couvre-chefs faits sur mesure. On m’appelle poseur ! Je veux me donner l’air d’un penseur, montrer mon front, parce qu’il est large ! — « C’est un vaniteux ! »

Vaniteux ? — j’aimerais bien à mettre mon chapeau sur ma tête, moi aussi !