Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/402

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on m’aurait mis en prison. Je m’en serais moqué, mais on aurait destitué mon père… Aujourd’hui je suis libre et je vous tiens !… »

Je lui ai pris le poignet.

« Je vous tiens, et je vais vous garder le temps de vous dire que vous êtes un lâche ; le temps de vous gifler et de vous botter si vous n’êtes pas lâche jusqu’au bout, si vous ne m’écoutez pas vous insulter comme j’ai envie et besoin de le faire, puisque vous m’êtes tombé sous la coupe… »

Il essaie de se dégager. « Oh ! non. — Je tords le poignet ! — Élève Turfin, ne bougeons pas !… »

Il fait un effort.

« Ah ! prenez garde, ou je vous calotte tout de suite ! Vil pleutre ! qui avez l’audace de venir me tendre la main parce que je suis grand, bien taillé… parce que je suis un homme… — Quand j’étais enfant, vous m’avez battu comme vous battiez tous les pauvres.

Je ne suis pas le seul que vous ayez fait souffrir — je me rappelle le petit estropié, et le fils de la femme entretenue. Vous faisiez rire de l’infirmité de l’estropié — vous faisiez venir le rouge sur la face de l’autre, parlant en pleine classe du métier de sa mère… Misérable !… »

Turfin se débat ; le monde s’attroupe.

« Qu’y a-t-il ?

— Ce qu’il y a ? »

Il passe à ce moment — ô chance ! — un troupeau de collégiens, je leur amène Turfin.