Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/409

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« À neuf heures.

— Rendez-vous à dix au Café des Variétés, pour être près de Caron, l’armurier chez qui on louera les armes.

— Entendu. »


La journée du dimanche a été inondée de soleil. Je me rappelle qu’il dorait l’absinthe sur les tables du café en plein air, où nous étions assis ; parfois un peu de vent faisait scintiller et frémir comme de la moire verte le feuillage des arbres qui étaient sur le boulevard Montparnasse, devant le cabaret de la mère Boche ; il faisait bon vivre.


Une jeune fille, qui n’a pas encore ôté son corset devant moi, vient s’asseoir à mes côtés et m’embrasse à pleine bouche.

« On dit que tu te bats. Si tu meurs, tu auras toujours eu ce baiser ; et si tu veux, je couche avec toi cette nuit. »

Elle a une fleur sur l’oreille. Elle la détache et me la donne.

« Tiens, si tu es tué, on t’enterrera avec. »

Et de rire !

Elle ne croit pas, personne ne croit, par ce temps tiède, dans le cabaret joyeux, sous ce ciel ouaté de blanc, à la cruauté d’un duel sans pitié. Et cela m’irrite et m’exaspère ! Ils pensent donc que je suis de ceux qui envoient des témoins pour rire. Ils ne devinent donc pas ce que je vaux et ce que je veux ; ils ne