Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/420

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qui sortent des poitrines étranglées ; on entend filer un lézard, partir un oiseau… sonner un tambour de saltimbanques dans le lointain.


On entend autre chose à présent. C’est le bruit des pistolets qu’on arme, puis un mot : « Avancez ! »


Deux détonations emplissent la campagne. Nous restons debout tous les deux. J’ai fait je ne sais combien de pas, j’ai abattu mon arme. C’est manqué. Legrand, plein de sang-froid, m’a ajusté longuement. Sa balle m’a passé juste à un demi-pouce de l’oreille et a même frisé ma tignasse. J’aurais dû la faire couper. Elle fait boule et sert de cible.

« Vous pourriez en rester là ! dit Collinet. À dix pas ! mais c’est un assassinat ! vous allez y rester tous les deux !

— Chargez ! »

L’accent a été impérieux, paraît-il, car les témoins ont obéi comme des soldats.

Nous nous promenons, Legrand et moi, chacun de notre côté, muets, très simples, les mains derrière le dos, et ayant l’air de réfléchir.

Un chien, venu on ne sait d’où, se trouve dans mes jambes et me regarde d’un œil doux, en demandant une caresse. Il m’a fait penser à Myrza, la chienne que nous avions à la maison quand j’étais enfant, qui me léchait les mains et semblait pleurer quand j’avais pleuré et qu’on m’avait battu. J’étais forcé de me laisser faire alors, je ne pouvais que conter ma douleur à la pauvre bête…