Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/429

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s’étonner de ce que j’ai eu de la carrure pendant un jour, s’étonner de ce que Legrand et moi nous ayons gardé la tête haute devant le danger, c’est ne pas savoir combien il est nécessaire de la tenir baissée pour monter les escaliers des hôtels lugubres.

Après ce duel, c’était au pis aller un lit à six pieds sous terre, la tête dans les racines des fleurs et des arbres, au lieu du sommeil dans les draps sales d’un garni.

Mais je me battrais encore aux mêmes conditions pour avoir l’air crâne et menaçant vis-à-vis des témoins tout surpris de voir des écrasés se redresser ainsi ! Joie suprême que paient trois minutes de tir. C’est pour rien.


Quatre chirurgiens, réunis en consultation, ont déclaré qu’il fallait couper le bras ; que sinon ils ne répondaient de rien. Legrand les a entendus, et malgré lui son regard me crie : « C’est toi qui me fais mourir ! » Dans le délire de sa fièvre, je lui apparais, non comme un adversaire, mais comme un assassin.

Je viens de mettre pour la dernière fois le pied dans cette maison.

On avait suspendu une ficelle au ciel du lit ; au bout de cette ficelle, un filet dans lequel un glaçon fondait. Là-dessous était étendu comme une chose morte le bras fracassé, et la glace pleurait ses larmes froides sur le trou fait par la balle ; ce trou bleu avait des airs d’œil crevé.