Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/70

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Avant le dîner, on avait fait des tours de force, et cette main-là avait courbé quelques poignets et soulevé des poids dans les coins. Maintenant elle tremblait comme la feuille.

À un moment, nos yeux se dirent ce que ne voulaient pas se dire nos lèvres ; nos doigts se quittèrent, mais nos cœurs se joignirent…

Je vins là tous les soirs ; j’y vins prendre mon café, puis mes repas ; un matin, j’apportai ma malle ! C’est elle qui le voulut.


Je passe à l’hôtel du père Mouton une vie bien heureuse, entre l’amour et la politique, entre la tête brune d’Alexandrine et le buste de la Liberté.

La mère Mouton espère-t-elle que j’épouserai sa fille, le père Mouton croit-il à mon avenir ? …

Ils me font crédit. Ils m’ont même proposé à un Russe, qui est leur locataire, comme professeur de français.

Ce Russe me donne trente francs par mois. — Je ne lui apprends pas beaucoup le français, mais je lui écris en style enflammé une lettre tous les deux jours pour une actrice des Délassements dont il est fou.

Quarante francs et trente francs font soixante-dix francs partout.

J’ai soixante-dix francs !… J’en donne cinquante au père Mouton, qui est content et paye encore la goutte. J’en garde vingt pour mon blanchissage, mon tabac et mes folies ! Sur ces vingt-là, il faut dire aussi que je porte tous les dimanches quarante sous à mon