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UN RÉFRACTAIRE ILLUSTRE.

Beaucoup d’articles de Planche se ressentent des circonstances dans lesquelles il les écrivait. Nous l’avons vu pour quelques-uns ; c’est vrai pour bien d’autres. Il en est un qui fut composé aussi dans un moment de tristesse, un jour de misère. Dieu sait cependant s’il est empreint de calme et de sérénité ! Un matin, le critique n’avait pas de quoi déjeuner. Il entre au café Tabouret, plutôt là qu’ailleurs, parce que le maître de l’établissement l’avait vu quelquefois et que le quart d’heure de Rabelais serait moins dangereux. Mais ces petits ennuis et ces craintes mesquines faisaient mourir cet honnête homme à petit feu. Il ne mange pas, demande du thé, encre et papier ; le voilà avalant coup sur coup quatre ou cinq tasses de thé noir, d’une main trempant un gâteau dans sa tasse, de l’autre plongeant sa plume dans l’encrier. À trois heures de l’après-midi, il n’y avait plus de thé dans la théière, ni d’encre dans l’écritoire. Il avait fini son papier, et gagné sa consommation. L’article sur Adolphe était fait.

N’est-ce pas un spectacle triste que celui de cette intelligence tourmentée, de ce cœur dévoré par des souffrances si viles ? Non, cet homme n’était pas mauvais, ce n’était pas l’envie qui le faisait cruel et impitoyable, les petits sentiments ne dictaient pas ses grands articles ; s’il fut quelquefois chagrin et passionné en maniant la plume, c’est que la misère était là, une misère triste, affreuse, inflexible. Il appartient, lui, l’écrivain sage, froid et pratique, à la race des poètes tués par la faim. Il est de la famille des