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DEUX AUTRES.

était consciencieux et ne gagnait pas à ce métier plus de dix ou quinze francs la semaine. Encore ne le payait-on pas toujours ! Il est, dans la tombe, le créancier d’un drôle.

Aussi maigrissait-il à vue d’œil, ce bon Cressot ! Joignez à cela que quand il lui tombait du ciel quelques sous, il les portait à l’imprimerie la plus voisine pour faire composer bien vite une centaine de vers ou une petiote comédie. Il reçoit 75 francs, un matin, devant moi — il lui restait un écu dans sa bourse — il alla vendre immédiatement un livre pour parfaire quatre-vingts francs, et avec la somme se rendit chez Lacour pour livrer à l’impression les Larmes d’Antonia, bluette. Il se passa de dîner ce soir-là.

Il aimait les lettres d’un amour naïf et sincère, croyait aux grands siècles, vivait dans le commerce de Pindare et de Virgile. Il soupait souvent d’une lecture, et se consolait des privations de la vie moderne dans l’admiration de la vie antique.

Il espérait, lui aussi, l’immortalité ! Oh ! fantôme, combien en as-tu entraînés avec toi dans l’ombre ! Combien se sont accrochés, malheureux fous, au pan glorieux de ton linceul ! Quand donc la lanière aiguë d’un sceptique robuste te fouettera-t-elle, jusqu’à te faire mourir, immortalité fatale, bourreau qui promets un trône et mènes par le ruisseau et l’hôpital, jusqu’au trou commun où les squelettes se gênent ?

Mais son ambition exaltait son courage et non