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LE BACHELIER GÉANT.

la clarinette mordit jusqu’au sang le nez de son instrument, le trombone jeta au vent du jour des couacs sauvages.

La directrice de la troupe parut.

Elle acheva le boniment du paillasse, fit l’éloge de toute sa troupe, la troupe de madame Rosita Ferrani ! et promit qu’elle ferait tous ses efforts pour mériter les applaudissements du public.

Je l’écoutai plus étonné qu’ému ; mais quand, son discours fini, elle se mit à danser en s’accompagnant des castagnettes, la taille prise dans son spencer de velours noir collant, les seins gonflés et les bras nus, sourire aux lèvres, cheveux au vent, mon sang ne fit qu’un tour ; il courut sur mon front une bouffée d’air chaud, ma poitrine s’élargit, et tout mon être tressaillit dans sa longueur devant cette statue vivante de la volupté et de la jeunesse.

Je voyais passer et luire, comme en un tourbillon, le jupon étoilé d’argent, le diadème aux perles bleues, les rubans verts, l’écharpe rouge, et mon cœur battait au bruit que faisaient à ses poignets blancs les grelots de ses bracelets.

Enfin elle s’arrêta, haletante et superbe, la chair jaillissant du maillot, faisant craquer le bas et le corsage, le buste flottant sur la hanche en relief, et pâle d’une pâleur douce faite de fatigue et d’orgueil.


Distraite, elle arrêta ses yeux sur moi et considéra mes six pieds cinq pouces d’un air étonné. Je détournai mon regard du sien, et je m’éloignai, tandis