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LE BACHELIER GÉANT.

pas cher, mais cela aussi ne rapporte guère : il faudrait qu’il y eût des langues brûlées et des hommes flambés vivants. Personne encore n’a eu ce courage.

Je me décidai à avaler des sabres.

Mon professeur de sabre fut Jean de Vire lui-même, un fanatique de son métier, le Don Juan des festins d’acier. Il pratiquait son art domi et foris, dans la rue, au café, à table ; il s’introduisait dans le nez des clous qu’on croyait voir ressortir par le crâne ; il se mettait des pointes dans le plafond.

Les jours fériés, il tuait le veau gras ; il avalait une longue barre de fer agrémentée de gros boulons, avec des nodosités comme les genoux d’un goutteux ; il faisait aller et venir cette barre, la dégustait comme un sirop, puis la rendait sur le pavé où elle retombait avec fracas, en s’écriant :

« Voilà du pain bien dur ! »

Il mourut entre nos bras, un jour de l’an, après avoir laissé tomber trop bas une fourchette de pot-au-feu avec laquelle il aimait à jouer, et qu’il emporta dans l’autre monde.

Il me légua, en mourant, son buffet, toutes les lames qu’il avait repassées au fil de son œsophage, et qui étaient descendues, sans lumière, dans les caves de son estomac.

Je vendis le tout pour acheter un petit fonds de phénomènes, las que j’étais du métier en plein vent, et je traitai d’un entre-sort.

Vous m’avez déjà entendu prononcer ce mot, et il vous indique lui-même ce qu’il signifie.