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LE BACHELIER GÉANT.

comme un grand arbre chargé de pluie, se baissait au vent des amers souvenirs.

Je n’interrompis point son silence. C’est lui qui, au bout d’un instant, résigné et grave, releva son front et reprit, où il l’avait laissé, le récit douloureux de ses tristes amours.


« C’en était fait, celle pour qui j’avais dit adieu à la vie honnête, à qui j’avais loué mon corps comme géant, et, comme homme, vendu mon âme, cette coureuse des champs de foire, elle me trompait avec un paillasse ivrogne, échappé cynique des faubourgs malsains.

Ce fut une chute terrible, comme si je tombais de mon haut, avec ma taille ! Je restai étourdi sur le coup ; il y a quelque temps de cela ; mais, ajouta-t-il avec un sourire mélancolique, en mettant la main sur son cœur, la place est toujours sensible.

J’aurais moins souffert si elle avait choisi moins bas : ma douleur s’irritait de sa dégradation. J’avais été dupe. Elle avait, comme ses pareilles, la nostalgie du ruisseau sale, et quand je lui prêtais une âme digne de comprendre la mienne, pauvre fou ! je comptais sans ses impressions d’enfance et de jeunesse, le voisinage du faubourg et le commerce du voyou.

Vous voulez savoir maintenant comment se termina la scène et ce que fut l’explication ?

Elle nia effrontément, et moi, moi faible et vil, je fis semblant d’ajouter foi à ses serments, et répondis aux plaisanteries écrasantes par un sourire ! Ah ! ce