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Page:Vallès - Les Réfractaires - 1881.djvu/47

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LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

Un homme passa qui me demanda si j’avais la permission, et, sur ma réponse négative, me fit plier bagage. À qui donc faisais-je du mal ? et pourquoi m’empêcher de gagner ma vie ?

Je vendis tout, livres et hardes, un flageolet, une casquette, ne sachant plus à quelle porte aller frapper ; on m’avait trouvé trop petit dans tous les bureaux de placement pour être professeur ou maître d’études.

J’avais encore un asile, on me gardait à crédit dans mon hôtel ; mais je passais des journées sans manger.

Un soir, pour échapper aux tortures de la faim, j’ôtai ma chemise et j’allai la vendre. Tout était dit. Je ne pouvais plus sortir du bourbier, et j’y devais rester quinze ans. Il aurait fallu maintenant, pour me retirer de l’abîme, que quelqu’un me fît habiller de la tête aux pieds ; on ne trouve pas tous les jours des gens pour faire ces sacrifices. Un homme qui n’a plus de chemise est perdu, quand même il aurait du génie.

Comment je vécus alors, je ne puis le dire. C’est l’histoire de tous ceux qui ont passé par là. Dans la journée, j’allais au cours de la Sorbonne jusqu’à quatre heures ; on fermait les amphithéâtres à ce moment : je rôdais alors sous l’Odéon, à travers les rues, jusqu’à ce que l’on ouvrît la bibliothèque Sainte-Geneviève, et je passais ma soirée dans la salle, lisant de préférence les livres sur les banques, et étudiant les hautes questions d’économie sociale