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LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

pouvais plus passer la nuit dans l’intérieur de Paris ; la nouvelle organisation des sergents de ville, triplés, quadruplés, me le défendait.

Certes, quand je vis M. Haussmann arriver aux affaires, ce que je savais de son indomptable énergie me fit tout de suite entrevoir l’avenir, et je ne me trompai pas sur les conséquences désastreuses pour moi de cette nomination. On allait refaire Paris, détruire les petites rues, supprimer l’ombre, et il n’y aurait plus place pour les penseurs sans domicile dans les coins obscurs. Nos petits-neveux se trouveront bien de ces améliorations, mais je ne crois pas être séditieux et je reste dans les limites de la plus pure vérité en disant que j’en ai beaucoup souffert.

L’arbre sous lequel je demeurais existe encore, et, le dimanche quelquefois, j’y vais en pèlerinage et je m’assieds dessous avec religion ; j’y reste un peu de temps par reconnaissance. Je ne crois pas devoir m’abstenir de cet hommage, les jours où la terre est mouillée. Elle l’était bien autrement quand, pendant mon sommeil, humide des eaux de l’orage, elle se creusait et prenait l’empreinte de mon corps endormi !

Son feuillage d’ailleurs est touffu et large ; c’est un dôme épais sous lequel un homme de bien peut reposer tranquille. Je m’adossais contre le pied du tronc, assis sur un portefeuille à deux poches où étaient mes œuvres, en me pelotonnant.

Quand j’y étais, j’étais bien heureux ; mais pour y venir, quelle souffrance !