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LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

sur mes genoux quelque roman dépareillé, je sommeillais, tout près des champs pleins d’odeurs et des bocages pleins de chansons.

Il me fut donné enfin, au bout de ces mois d’épreuve, de loger sous un toit entre les draps d’un lit.

Fontan a arrêté là ses confidences.

Un fait domine ce récit curieux.

Ce n’est pas le froid, la faim, la fatigue, la veille qui épouvantent cet irrégulier. Si la terre eût été libre, il y aurait fait bravement son lit, sous le ciel, en attendant d’y trouver sa tombe.

Il n’a pas vieilli ; il a le teint rose, un estomac de fer, et jamais il n’a eu un rhume !

Je ne parlerai pas de sa gaieté, qui est proverbiale. Il a sur ses lèvres un doux sourire ; jamais une plainte amère contre la société.

J’ai dit que sa petite taille, le désordre fatal de sa toilette, désordre irrémédiable, éternel, à cause de la somme énorme qu’il eût fallu pour lui faire une garde-robe, lui rendaient impossible l’accès à une situation libérale. Il ne pouvait pas grandir, et avec des prodiges d’héroïsme, il n’arrivait jamais qu’à avoir trente sous pour renouveler sa chemise, ou quarante, pour acheter des souliers sans talons dans une échoppe.