Page:Van Bever - Les Poètes du terroir, t1, Delagrave.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
119
AUVERGNE

Point de village autour de moi, point de maison ;
L’hiver, la neige est haute et le vent s’y lamente :
Pour les morts ignorés perdus dans la tourmente,
Des crucifix de bois, leurs bras blancs dans les airs,
Çà et là sont dressés sur les plateaux déserts.

La nuit tombe, la nuit fraiche, la nuit paisible.
Guidé par l’angélus d’un clocher invisible,
Je prends, déjà lassé du trajet fait en vain,
La route qui descend aux pentes du ravin.
Comme un drap noir le ciel vient de tendre ses voiles :
Je vais, le cœur serré du regret des étoiles
Qui ne me suivront pas de leur regard léger.
Là-bas, sur la hauteur, brille un feu de berger ;
11 s’éteint, se rallume et disparait encore.
L’écho, doublant mon pas sur la terre sonore,
Me fait sans cesse entendre un pas qui me poursuit.
Les minces peupliers frissonnant dans la nuit,
Aux tournants escarpés où s’enroule la route,
M’apparaissent géants, et par moments j’écoute,
En faisant halte au bord des noirs bouquets de bois,
Un filet d’eau caché qui gémit à mi-voix :
Tandis que sort des champs, des gorges et des roches,
Des lointaines forêts et des bruyères proches,
Où l’insecte et l’oiseau chantent en liberté,
Le chœur intermittent des belles nuits d’été.

Et voici qu’au détour d’un grand rocher de mousse,
Je me sens caressé d’une brise plus douce
Et je te reconnais, air pur, air parfumé,
Qui me viens du pays natal, du sol aimé.
Et j’aperçois alors, par le brouillard voilée,
La ville calme assise au fond de la vallée,
Où dans l’obscurité se pressent les points d’or.
Vers la chère maison mon rêve prend l’essor :
Qu’importent la fatigue et la route nocturne,
Et la marche sans fin sous le ciel taciturne !
J’entends, j’entends chanter dans mon cœur triomphant
Les rustiques chansons qui me berçaient enfant.

(Poèmes de France et d’Italie.)