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LES POÈTES DU TERROIR

JEHAN REGNIER

(xve siècle)


L’auteur de ce livre recherché des bibliophiles et des curieux, Les Fortunes et Adversitez, etc., Jehan Régnier, « homme noble et bon poète », naquit à Garchy, à trois lieues d’Auxerre, à la fin du xive siècle. Il était bailli de cette dernière ville, pour le duc de Bourgogne, lorsqu’il tomba entre les mains du parti royal, le 14 janvier 1431, ou plutôt 1432 (nouveau style). Il avait été attaché à la maison du duc Jean sans Peur, avant de passer au service de Philippe le Bon. Au moment où il devint prisonnier de guerre, il était marié à Isabeau Chrétien et il en avait un fils à peine « hors d’enfance ». Conduit en prison à Beauvais, gardé étroitement, et par la suite menacé de mort, par l’ordre de Charles VII, il ne recouvra sa liberté que de longues années après. Encore dut-il engager une partie de ses biens, afin de pouvoir acquitter une somme de mille talents d’or qu’on lui demanda pour sa délivrance et celle des siens, retenus quelque temps en son lieu et place. Ce fut pendant sa captivité à Beauvais qu’il mit en « rimes françoises » le récit de ses Fortunes et Adversitez. Il indique lui-même l’époque où il acheva son œuvre :

L’an mil quatre cens trente trois,
En avril, du jour vingt-six.
Sur la pierre je suis assis,
Où je fais la fin de ce livre.
En attendant d’estre délivre.

Il s’était fait passer pour un menestrier, et il composait des vers et de la musique pour ceux qui l’en priaient, même pour ses geôliers. Telle fut l’origine de ses poésies. Jehan Régnier vécut encore près de trente années après sa sortie de prison, mais il ne continua que de loin en loin à écrire des vers. L’intérêt que présente son recueil ne réside pas seulement dans le récit de ses infortunes, mais plutôt dans la forme qu’il a adoptée. Son livre est, au sens de la critique contemporaine, le prototype des Testaments de Villon.

« Nous ne doutons pas, a écrit un de ses commentateurs, que Villon, lorsqu’il était sous le coup d’une condamnation capitale dans les prisons du Chàtelet de Paris, ou dans celles de l’Officialité de Meung-sur-Loire, ne se soit souvenu du livre de Jehan