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LES POÈTES DU TERROIR
À L’ARBRE DE NOËL[1]


Salut, noble envoyé des forêts éternelles,
Toi qui viens nous porter les parfums du pays,
Baisers discrets et purs, caresses maternelles
De l’Alsace enchaînée à ses enfants bannis !

Nous savons quelle main pieuse et vénérée
A voulu t’arracher, là-bas, de tes hauts lieux,
Pour nous montrer un peu de la terre sacrée
Où loin de nous, hélas ! dorment tous nos aïeux !

D’où viens-tu ? Dis-le-nous ! Sur quelque roc sauvage,
Au bord des noirs ravins, étendant tes longs bras,
Vivais-tu près des burgs du sombre moyen âge,
Qu’en un jour de courroux le peuple mit à bas ?

As-tu vu Géroldseck, l’évêque, avec ses reîtres,
Sur Strasbourg révolté marcher pressant les rangs ?
Ah ! dis-nous donc alors comment nos fiers ancêtres
Ont fait, à Hausbergen, pour broyer les tyrans !

Viendrais-tu du Donon, dont la tête si fière
S’élève dénudée au-dessus des grands bois ?
Etais-tu le voisin des vieux témoins de pierre
Qui disent en passant que nous sommes Gaulois ?

Quand la France sortit de la grande fournaise,
Rayonnante, nouveau phénix ressuscité,
As-tu senti passer la jeune Marseillaise,
Prenant son premier vol vers l’immortalité ?

N’as-tu pas admiré, dans ces temps héroïques,
Rués vers la Lauter que menaçaient les rois,
Terribles, demi-nus, nos paysans épiques
Qui rendirent la Force esclave de leurs Droits ?

Mais non ! reste muet… Notre moderne Histoire
Rougirait au récit de ces faits inouïs…
Laissons, laissons dormir, dans leur linceul de gloire.
Les héros blancs et purs des jours évanouis !…

(Poésies d’un vaincu.)
  1. Stances dits à la fête nationale de l’Arbre de Noël, donnée par l’Association générale d’Alsace-Lorraine, le 23 déc. 1872.