Page:Van Bever - Les Poètes du terroir, t1, Delagrave.djvu/448

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
426
LES POÈTES DU TERROIR

Et moi je vais plus loin encore, et, sur le faîte
Des landes, j’aperçois l’horizon imposant.
Au soleil du matin la nature est en fête ;
Voici les noirs sapins des forêts de Grisant.
Sous mes yeux un vallon piqué d’un toit de chaume
Harmonieusement creuse son vert contour ;
Une odeur de printemps, léger et frais arôme,
S’exhale des landiers aux premiers feux du jour.
Tout là-bas, la bruyère aux fleurs roses et mauves
Teinte le pied des monts devant mes yeux placés,
Pendant que leurs sommets, mornes, rougeâtres, chauves,
Sont couronnés de blocs de rochers entassés.
Le genêt fleurissant jaunit la lande verte,
Un clocher lève au ciel son toit pyramidal,
Et le canal de Brest dans la vallée ouverte
Serpente et brille au loin comme un fil de métal ;
Les nuages passant sur le bois rendu sombre,
Sur ces coteaux pelés, sur ces monts gracieux,
Font jouer tour à tour les rayons ou leur ombre :
On dirait des oiseaux géants fendant les cieux.

Travaux des champs, accents dupâtre, aspects splendides,
Nature, — devant toi je sentais autrefois,
Au fond de moi, parler une secrète voix,
Et mon cœur tressaillir en battements rapides.

Les cheveux blancs, depuis ce temps, sinon les rides,
Sont venus ; j’ai vécu loin des prés et des bois ;
Mais nos jardins fleuris et charmants, je le vois,
Sont plus silencieux que ces landes arides.

Devant ces frais tableaux qu’ai-je donc ressenti ?
Suis-je donc jeune encore ? A-t-il bien retenti,
L’appel de cette voix chérie à mon aurore ?

Que le mot qu’il prononce ait changé comme moi, —
Qu’importe ! — c’est bien lui, plus doux et moins sonore ;
Il me disait : « Espère. » Il me dit : « Souviens-toi ! »

(Souvenirs bretons.)