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LES POÈTES DU TERROIR

LE SONNEUR DE BINIOU

Au milieu d’un taillis il est une clairière :
Là, sous des coudriers, on voit un banc de pierre
Tout verdi par la mousse, à deux pas d’un étang,
Où des feuillages morts flottent au gré du vent,
Et dont les bords pierreux sont couverts d’asphodèles,
Qui regardent dans l’eau trembler leurs tiges grêles.
L’an passé, vers le soir, en traversant les bois,
On trouvait un vieillard sur ce banc, quelquefois ;
Et quand on s’éloignait, un air mélancolique,
Un chant de biniou, plein de saveur antique,
Arrivait à l’oreille ; on écoutait, surpris,
Ce chant plaintif et doux qui sortait du taillis.
Et c’était le vieillard, assis dans la clairière,
Sonnant un air d’adieu, comme il faisait naguère,
Le soir d’une assemblée, en revenant du bourg,
Où la danse et les jeux avaient pris tout le jour.
Mais l’habile sonneur avait vu la jeunesse
Mépriser son talent, mépriser sa vieillesse,
Et préférer le bruit du violon criard
Aux sons du biniou modulés avec art.
Aussi, le cœur blessé, rêveur et solitaire,
Il aimait à venir dans la verte clairière.
Et, n’ayant pour témoins que le soleil couchant,
Les lutins des taillis, les follets de l’étang,
Il jouait de vieux airs pleins de mélancolie,
Et dans ces chants faisait ses adieux à la vie.
Il est mort aujourd’hui, mais, avant de mourir,
Il disait à ses fils : — « Remplissez mon désir :
Mettez auprès de moi, dans ma couche nouvelle,
Mon compagnon chéri, mon biniou fidèle.
Et, comme aux jours de fête, ornez-le, mes enfants,
D’une branche de myrte et de quelques rubans. »
Et les fils ont rempli le souhait de leur père ;
Mais, depuis, quand on passe auprès du cimetière,
Le soir ou dans la nuit, quelquefois on entend
Les sons d’un biniou mêlés au bruit du vent.

Au pays de Retz.