Page:Van Lerberghe - Contes hors du temps, sd.djvu/29

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Ô Mère ! qu’est-ce donc ce grand bruit dans la nuit ?
Ô Mère ! qu’est-ce donc qui souffle et hurle ainsi ?
— Il neige. C’est la bise qui souffle en tempête
Dans la neige, et ce sont de pauvres bêtes
Qui ne peuvent dormir, de faim et de froid,
Qui soufflent, qui s’agitent, qui courent dans le bois
Par sauts et par bonds ; qui vont,
Comme les mendiants, clopin, clopant,
Où va le froid, où va le vent,
Où va la neige, où va le sang,
Au fond du bois, vers une humble auge
Où brûle un peu de feu d’étoile sur la paille ;
Là-bas, vers le triste et pauvre berceau,
Où vient de naître un petit agneau
Que lèche sa mère de sa langue rose ;
Et toutes ont de pauvres robes,
Beiges, grises, noires, brunes,
Couleur de soir, couleur de brume,
Couleur de terre et de misère,
Et toutes souffrent dans le vent qui souffle,
Et hurlent et beuglent, et jappent et miaulent,
Et le vent hurle et beugle,
Et souffle dans ses trompes rauques, et dans ses cors de corne,
Et siffle dans ses flûtes aiguës, et claque des dents.
Et les sapins aussi font un long bruit strident.
Des brebis bêlent, des faons râlent,
Un cerf brame épouvantablement ;
Des biches passent, une flèche dans le flanc,
Et des lièvres dont le sang met des taches dans la neige.
Il est aussi de pauvres oiseaux,
Des cailles, des grives, des perdreaux,
Des colombes, qui volent avec des ailes cassées,
Des cous tordus et des pattes fauchées,
Ou tombent — le bec ouvert — plein de sang.
Et des plumes rouges volent dans la neige et dans le vent.
C’est le massacre des innocents,
C’est la détresse humble et cachée
Des faibles, des timides, et des doux…
Pourtant, il y a les corbeaux et les loups.