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Sur la terre l’aube revient. Le soleil se lève, monte et se couche. Puis une autre aube, et d’autres et d’autres encore. Les oiseaux chantent, aiment, meurent. Le temps passe. Les fleurs croissent, s’épanouissent, se fanent, meurent. Les fruits croissent, mûrissent, tombent. Les feuilles poussent, tombent. L’eau suit son cours, et le temps passe, et tout passe. Les nuages circulent. Il pleut, il neige. La terre tourne. C’est le printemps, c’est l’été, l’automne, l’hiver, et c’est de nouveau le printemps, l’été, l’automne, l’hiver. Et cela recommence, comme le temps passe, comme les nuages passent, comme le vent souffle, et cela reprend toujours, sans cesse, un an, dix ans, vingt ans, un siècle, mille ans, dix mille ans, cent mille ans, des milliers de siècles.

Ils dorment toujours.


Un jour, enfin, Saturne s’éveilla le premier. Il s’étira les bras. « Quelle heure peut-il être ? » se dit-il. Il se leva dans l’obscurité et se dirigea vers l’entrée. Un mince rayon de soleil filtrait sous la pierre. Il l’écarta, et une aveuglante clarté fit irruption dans la grotte. Il ne vit rien d’abord. Il lui semblait que le monde n’était plus qu’une clarté. Il se frotta les yeux, peu à peu s’habitua et aperçut la terre.

Elle était toujours là devant lui, verte et radieuse. Combien de temps avaient-ils dormi ? une longue nuit sans doute, car il se sentait infiniment reposé et rajeuni, il se sentait plein d’une fraîcheur et d’une gaîté juvéniles. Sa joie était si vive qu’il en rit aux éclats et dansa comme un enfant dans la clarté du soleil. Il aperçut alors le prince qui s’était levé en même temps que lui et se tenait à ses côtés, toujours silencieux. Il regardait la lumière éclatante et contemplait en extase le monde ébloui et virginal qui semblait plongé dans le ravissement. L’herbe avait grandi. Jusque sur le seuil de la grotte, avaient poussé de merveilleuses et étranges fleurs bleues. Elles brillaient comme des étoiles vivantes vacillant sur des tiges légères. Les jeunes arbustes étaient devenus des arbres ; les feuilles, des plumes ailées. La prairie ressemblait à un vrai paradis terrestre traversé d’ombres et de rayons. On reconnaissait dans le pré, entre tous les autres, les champignons de la veille à leur immense dôme bleu qui les faisait comparer à des mosquées d’un culte fantastique.

Soudain, ils entendirent au-dessus de leurs têtes une petite voix flûtée qui disait : des hommes !

Au même instant, un écureuil s’enfuit, la queue en panache, au haut d’un arbre. Il en tomba une pomme d’or aux pieds de Saturne.