Page:Vandervelde - La Belgique et le Congo, le passé, le présent, l’avenir.djvu/238

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Depuis que nous avons soustrait les peuples « momou » à la domination des « mangbettu », la région est tombée dans un désordre absolu : pas-un habitant n’y vit dans la sécurité ; les vols, les rapts, les meurtres s’y multiplient, sans que nous puissions même arrêter un coupable. Figurez-vous un pays ou chacun ne connaît que sa force personnelle, celle de ses amis, et où nulle autorité, ni traditionnelle, ni morale, ni matérielle, ne se fait sentir. L’autorité des chefs mangbettu y était un bienfait.

Rien ne serait plus faux, d’ailleurs, que de juger les actes des chefs en se plaçant à notre point de vue européen.

À propos des Azande, précisément, un officier belge, avec qui je rentrais du Congo lors de mon deuxième voyage, me citait à cet égard un fait typique.

Un jour, Bokoye, celui des chefs de l’Uele que l’on représente comme le plus sanguinaire, ayant surpris un indigène en flagrant délit d’adultère avec une des femmes de son harem, lui fit couper le nez, les oreilles et les mains. Or, quelques mois après, mon compagnon de voyage, se trouvant chez Bokoye, vit la victime de cette atrocité danser avec son bourreau, de bonne amitié, le tenant embrassé avec ses moignons mutilés, sans paraitre le moins du monde lui garder rancune.

Ce n’est pas à dire, naturellement, que les autorités coloniales ne doivent pas mettre fin à ces coutumes barbares et qu’elles doivent laisser aux chefs tous les droits, fussent-ils exorbitants, qu’ils tiennent de la coutume. Nul ne leur reprochera, par exemple, d’intervenir pour empêcher que l’on ne mutile un indigène coupable de quelque méfait, pour interdire les sacrifices funéraires ou l’épreuve du poison, pour supprimer le commerce des esclaves ou les guerres entre tribus.

Nous ne réclamons pas pour les noirs la liberté de se massacrer, de se manger ou de s’empoisonner entre eux.

Mais quand il s’agit d’institutions fondamentales, comme la polygamie ; l’esclavage domestique, l’autorité des chefs, il faut y regarder à deux fois avant d’y porter atteinte et, somme toute, nous sommes disposé à croire que mieux vaut respecter