Page:Variétés Tome I.djvu/59

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de lubricité : car ayant atteint l’aage de quinze ans, lors vray miroir de vertu et beauté, et estant delaissée orpheline depuis deux ans et unique heritière des biens paternels, fust recherchée de plusieurs braves cavaliers, qui, espris de ses beautez, ne pouvoient respirer que l’air de ses bonnes graces ; et comme la coustume de ces païs porte que les filles soient retirées des compagnies, principalement de celles des hommes ; mais elle estoit maistresse de soy-mesme et se laissoit aller où sa volonté et plaisirs la poussoient. Elle attiroit par sa beauté les cœurs de ceux qui la regardoient, et, en la regardant, l’admiroient, entre autres le cavalier Lysandro, qui, jà long-temps auparavant, avoit esté adverti des beautez de ceste damoiselle, estant envoyé à Venise pour l’estude des sciences et exercices de noblesse, tascha par subtils moyens de pouvoir treuver lieu, temps et heure commodes pour offrir et sacrifier les veux de son service sur l’autel des merites de ceste beauté, et ne pouvant treuver telle commodité comme il desiroit, il se delibera de l’aller voir à son logis, accompagné d’un homme seulement, et là estant, la treuva aussi gratieuse que belle ; incontinant luy commença à descouvrir la douleur qu’il avoit enduré dès que les rayons de sa beauté eurent penetré son cœur, et qu’il la supplioit et conjuroit d’alleger le tourment de son mal. Tous deux au mesme instant furent comblez d’heur et desir, comme ils souhaitoient ; il ne manque point tous les jours en après la voir ; enfin tous deux sont embrasés de l’amour de l’un et de l’autre. Et ainsi passionné luy donna à entendre, comme la coustume est, qu’il la prendroit pour sa loyale espouse, et que