Page:Variétés Tome III.djvu/286

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Toutesfois mon amour rend tant de monde fou,

Qu’aux plus paisibles lieux il sème la querelle.

Pour sauver des dangers le tresor que je porte,
Un art industrieux m’arme jusqu’au gosier ;
Une belle tissure, ou de jonc ou d’osier,
Compose mes habits de différente sorte.

L’on me void jusqu’au cœur quand je suis toute nue,
Et l’œil qui me regarde en moy-mesme se peint ;
Mais, si dans cet estat quelque estourdy m’atteint,
Souvent du moindre choc il me brise et me tue.

Je me plais neantmoins où je suis harcelée,
M’y voyant à la fin tout le monde soumis.
Ceux que je mets à bas sont mes meilleurs amis,
Et parfois nous tombons ensemble en la meslée.

Chez eux souvent je meurs, souvent je ressuscite,
Perdant cent fois mon sang, le recouvrant cent fois ;
En me caressant trop on se met aux abois,
Et plus je fais de mal, d’autant plus on m’excite.

Je sçay, comme Circé, l’art de metamorphose
Pour transformer l’esprit de tous mes courtisans,
Les rendant furieux, ou brutaux, ou plaisans,
Selon que le climat ou l’humeur les dispose.

J’anime l’eloquence, et n’en suis pas pourveue :
Si l’on m’entend parler, ce n’est qu’en vomissant ;
Mes trop frequens baisers rendent l’homme impuissant,
Et font errer ses pas en egarant sa veue.

D’une humeur sans pareille un dieu m’emplit le ventre,
Le teignant tour à tour des aimables couleurs
De la rose et du lys, les plus belles des fleurs,
Et le rouge et le blanc sont chez moy dans leur centre.