Page:Variétés Tome IV.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ô constante inconstance ! ô legère fortune !
Qui donne à l’un un œuf, et à l’autre une prune ;
Qui fait d’un charpentier un brave mareschal15,
Et qui fait galoper les asnes à cheval ;
Qui fait que les palais deviennent des tavernes,
Qui, sans miracles, fait que vessies sont lanternes ;
Qui fait que d’un vieil gant les dames de Paris
Font des gaudemichés, à faute de maris ;
Que le sceptre d’un roy se fait d’un mercier l’aune,
Que le blanc devient noir et que le noir est jaune ;
Qui change quelquefois les bonnets d’arlequins
Aux couronnes des grands16 et les grands en coquins,
Les marottes en sceptre, en tripes les andouilles,
Les chapperons en houpe, en glaives les quenouilles,
Le rosti en bouilli, une fille en garçon,
Le coutre17 en bon castor et la buse en faucon !

Je suis, sans y penser, des stoïques escoles ;
Je croy ce que disoient ces sçavans Picrocoles18,
Qui, sans hypothequer cinq cens pieds de mouton
Où l’on n’en void que quatre, arrestez au fatum,
Disoient de toute chose : Ainsi plaist à Fortune !


15. Peut-être y a-t-il là une allusion au maréchal d’Ancre, qui, comme époux d’Éléonore Galigaï, se trouvoit être le gendre d’un menuisier florentin.

16. Var. : Aux couronnes des roys et les rois en coquins.

17. Il faut lire la loutre. On fait encore dans quelques provinces des casquettes avec la peau de cet animal.

18. Pichrocole est un roi visionnaire inventé par Rabelais (liv. I), et qui n’avoit rien de la philosophie à la Pangloss que d’Esternod prête ici aux savants qu’il baptise de son nom. La Fontaine l’a aussi nommé dans sa fable la Laitière et le Pot au lait.