Page:Variétés Tome IV.djvu/71

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le soleil ne les a veu lever si matin qu’ils n’eussent beu, et qu’au soir jamais la nuict noire, tant fust-il tard, ne les aye veu sans boire, ont acquis honorifiquement les degrez de docteurs en la faculté de l’Université bachique.

Voulons et faisons savoir à tous ceux de nostre dicte caballe que, pour les recompenser de leurs vertus et merites, il leur sera permis de vivre jusqu’à leur mort, en depit de tous ceux quy y voudront mettre empeschement, et leur dite mort ne sera qu’un passage pour aller escorniffler en l’autre monde et in transmigrationem Babilonis, c’est-à-dire qu’ils seront logez par etiquette dans un merveilleux chasteau, dont la description s’ensuit3 :

Premierement, le pont levis dudict chasteau est faict de pain de Gonnesse.

Les fossez sont pleins de bons vins muscat, où l’on voit ordinairement potage gras et espissé à la mode des Suisses, gigots de moutons, jambons tous en vie quy se jouent dedans en guise de brochets et de carpes.

Les murailles sont faictes de grosses pièces de bœuf salé entassées les unes sur les autres en façon de pierres de taille.



3. Cette description est une imitation de celle du pays de Coquaigne, telle qu’elle se trouve fort au long dans l’un des fabliaux publiés par Méon (t. 4) : c’est li Fabliaus de Coquaigne. Rabelais s’en étoit inspiré auparavant pour le curieux tableau qu’il a fait de l’Île de Papimanie (voy. éd. de l’Aulnaye, in-12, t. 2, p. 121), et enfin Fénelon devoit un peu plus tard concevoir dans le même esprit, et sans doute d’après la même inspiration, sa fable de l’Île des Plaisirs.