Page:Variétés Tome VI.djvu/66

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Retia lex tendit miseros captura latrones

——--Quæ diti evolvit gratia sacrilego.

Et comme un clou chasse l’autre, je perdis ceste fantasie, ayant veu pendre au fauxbourg Saint-Germain, à l’entrée de la foire, le tableau d’un homme sans bras qui prenoit un sol pour se laisser voir22. Sa condition me sembla bien heureuse, et à l’instant me prinst envie de me faire coupper les bras et les jambes pour participer à un gain si légitime ; mais, pour comble de toute affliction, je ne trouvay point de chirurgien-barbier qui en voulust prendre la peine, et me renvoyoient tous au maistre intendant des hautes œuvres, auquel m’estant addressé, me respondit qu’il ne l’oseroit entreprendre sans une ordonnance des medecins de la Tournelle. De là ma pensée se tourna vers l’hospital des Quinze-Vingts23, et eusse desiré n’avoir jamais veu le soleil et pouvoir dire avec ces bien-heureux aveugles de bien bon cœur après desjeuner les devotes antiennes et oraisons accommodées à chacun jour de l’an, qui leur valent autant de doubles tournois. Ceste saincte


22. Montaigne dit avoir vu un phénomène de cette espèce. « Je viens de veoir chez moi, dit-il (Essais, liv. 1, ch. 12), un petit homme natif de Nantes, nay sans bras, qui a si bien façonné ses pieds au service que luy debvoient les mains, qu’ils en ont, à la vérité, à demy oublié leur service naturel. » L’Estoille l’avoit vu à Paris en février 1586. Il en parle sous cette date dans son Journal.

23. Sur ces aveugles, qui, bien qu’hébergés dans une maison royale, mendioient tout le jour par les rues de Paris, V. notre édit. des Caquets de l’Accouchée, p. 199.