Page:Varlet - La Grande Panne, 1930.djvu/160

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Que m’importe cette clameur de délivrance qui s’élève, au loin du tunnel. Ces gens là-bas crient leur joie d’être sauvés… Moi je mourrai heureux.

Mais que se passe-t-il ? À part ces cris et le ronflement décroissant du courant d’air qui s’apaise, c’est comme un énorme silence dans le souterrain, une lacune incompréhensible, l’arrêt de quelque chose. Plus de crépitations, de craquements, la sylve enchantée aux branches vivantes et agressives s’est figée en immobilité, brusque comme un coup de commutateur. Et les tentacules aussi se sont figés sur Aurore et sur moi… Je reste pris dans leur étreinte, mais le poulpe semble frappé de catalepsie. Soudain, je comprends le sens des cris qui se rapprochent :

— On a coupé le courant ! Il n’y a plus de danger à marcher sur les rails électriques !

Le lichen est paralysé, faute de nourriture électrique ; la poussée de vie est arrêtée… Nous sommes sauvés… Sauvés !… Et Aurore m’aime !…

À coups de reins, à coups de pieds et de poings, je me dégage, cassant, arrachant les tentacules encore tièdes ; je dégage Aurore, l’empoigne à bras-le-corps, l’enlève…

Nous sommes restés seuls, restés les derniers, tout le monde a déguerpi, sauvé. Et le souvenir me revient, de la première heure de notre rencontre, à Cassis, où je l’ai tenue ainsi dans l’auto d’Alburtin. Mais cette fois elle m’aime ! Une onde de vigueur héroïque m’emporte, je ne sens plus le poids de mon cher fardeau.