Page:Varlet - La Grande Panne, 1930.djvu/162

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foule traversés, cinquante mètres parcourus, nous respirâmes enfin, sur le quai d’Orsay.

Aurore dégagea son bras, que je soutenais toujours.

— L’air me fait du bien. Marchons un peu, voulez-vous.

Sous les arbres mi-défeuillés du quai, entre la Seine et la circulation de la chaussée, il me semblait revenir à la vie réelle. Les minutes vécues précédemment, sous terre, au pouvoir du Lichen, m’apparaissent plus fantasmagoriques qu’un rêve d’opium ou de hachich. Si le souvenir du tutoiement et de ces deux mots suprêmes : « bien-aimé », n’eussent été entaillés aussi profondément dans mon cœur, j’aurais douté de les avoir entendus. En tout cas, j’éprouvais une pudeur à m’en ressouvenir ; je sentais qu’elle m’avait laissé entrevoir par surprise un dessous interdit de son âme ; il y avait eu maldonne ; après cet aveu-là, elle au moins devait mourir. Entre nous, survivant tous deux, il n’en pouvait plus être question. Et pourtant, puisque je savais !… Comment redevenir le simple bon camarade qu’elle m’avait imposé d’être les jours précédents ?… Soit ! je ne me livrerais pas aux élans triomphaux qui me soulevaient tout à l’heure, mais je pouvais du moins, par une allusion…

Elle marchait à mon côté, pensive, m’observant parfois de biais. Elle devinait ce qui se passait en moi. Elle suivait le cours de mes sentiments. À la seconde même où j’allais parler, elle m’arrêta.