Page:Varlet - La Grande Panne, 1930.djvu/5

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l’opinion de mes amis, et surtout les prix que les marchands et les amateurs payent mes toiles. Je n’en suis pas plus fier pour cela, du reste, car certains badigeonnages exécutés par des farceurs sans aucun mérite atteignent des cotes beaucoup plus élevées, au décimètre carré ; mais du moins je gagne ma vie, et j’ai conscience de faire de l’art véritable, ce qui n’est pas déjà si commun.

Mais passons ; mon art n’est qu’indirectement en cause dans la présente histoire, Il vaut mieux faire remarquer que je suis, à l’époque dont je parle, célibataire, en flirt superficiel avec Mlle Luce de Ricourt, sœur de mon ami Géo, un ancien camarade de lycée devenu ingénieur, que j’avais perdu de vue et que j’ai retrouvé depuis une quinzaine, à Cassis, où je suis venu villégiaturer, peindre et me livrer aux plaisirs des bains et d’un nudisme tempéré.

Luce de Ricourt, vingt-quatre ans, une rousse d’un roux ardent, qui me fait songer à la Danaé du Titien qui est au musée de Naples, a pour moi un attrait esthétique, freiné par une incompatibilité morale évidente et indéniable. Baronne authentique, mais sans fortune, elle est aussi moderne que possible et regrette de n’être pas née Américaine. L’argent compte avant tout dans la vie, affirme-t-elle. Elle s’est juré d’atteindre à la richesse, connaît le gros brasseur d’affaires Rosenkrantz et se livre à des opérations de Bourse fructueuses.

Ce qui ne l’empêche pas d’avoir un flair artistique