Page:Varlet - La Grande Panne, 1930.djvu/76

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réaliser la traversée. Mon premier grand raid n’a fait que me renforcer dans cette conviction. Mais je m’estimerais salie, déshonorée vis-à-vis de moi-même et indigne de piloter une Fusée, si je truquais, si je ne déclarais pas les résultats exacts obtenus et rien d’autre…

« Et pourtant, j’aime la tâche que j’ai assumée, d’être un jour la première représentante de l’humanité à prendre possession du sol lunaire ; je serais navrée d’être remplacée dans cette entreprise ; et pourtant aussi, j’aime mon père, et ne voudrais pas lui causer la plus légère peine. Or, si je parle, si je me laisse interviewer, je dirai infailliblement la vérité, je démentirai la fiction des journaux… La Moon Gold sombrera dans un éclat de rire et dans un scandale universels. Lendor, pour se venger, comme il m’en a menacée, renverra mon père, dont ce sera la fin. Vous voyez maintenant, mon cher Delvart, pourquoi j’ai peur des journalistes, pourquoi j’ai fui Cassis, pourquoi je vous ai prié de nous en aller, tantôt au café Riche !…

Elle haletait, ravagée d’anxiété, mais à présent maîtresse d’elle-même. Les joues, sous leur ocre léger, rehaussées d’un pourpre vif, les yeux perdus sur le spectacle du Vieux-Port et du Transbordeur qu’elle ne voyait pas, elle considéra un instant le cruel, atroce cas de conscience, puis elle me regarda, refoulant sa détresse, comme si elle se contentait de m’avoir confessé la vérité et n’espérait de moi nul secours autre que le réconfort de mon impuissante sympathie.