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NIHILISTE

épouvanté, je m’enfuis et tâchai d’oublier le monstre charmant que j’avais si aveuglément aimé.

Pourtant, mille fils ténus et puissants me liaient encore ; son souvenir, comme un poison subtil, pénétrait dans mes veines ; fibre à fibre elle me reprenait, et, vaincu, j’allais me rendre…

C’était par une froide matinée de janvier ; je m’étais assis près de la fenêtre, regardant les pierrots qui, avides, picoraient la neige durcie où rien ne vivait plus. Ces petites bêtes tristes oubliées du ciel, m’attendrirent, soudain, et, prenant du pain, je l’émiettai pour la bande affamée. Aussitôt il en vint de tous les arbres ; comme de lourds flocons noirs, ils se laissèrent tomber sur le sol et se jetèrent en piaillant sur le régal inespéré. Depuis un quart d’heure je m’amusais à les regarder, quand, tout à coup, ils s’envolèrent avec un grand bruit d’ailes, comme à l’approche d’un danger. Je levai les yeux, et une exclamation de surprise faillit m’échapper. Sur le tapis blanc s’avançait, sans bruit, une femme pauvrement vêtue, mais si admirablement belle que ses vêtements paraissaient presque élégants. Son teint éclatant ne semblait pas altéré par le froid ; ses larges yeux d’un bleu sombre regardaient devant elle avec une expression de hautaine indifférence. Ses sourcils épais et rapprochés, ses