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NIHILISTE

minuit, d’un engourdissement étrange que je n’avais jamais éprouvé avant.

Nous prenions, vers cette heure, un peu de thé que la jeune fille préparait elle-même. Je me dis que cette infusion devait contenir un narcotique puissant, et je résolus de n’en point goûter, ce soir-là, mais de feindre l’accablement habituel afin de donner le change à Terka.

Nous étions dans ma chambre : elle, assise dans un fauteuil, la tête renversée sur le dossier, l’œil songeur ; moi, étendu à ses pieds.

— Sais-tu, lui dis-je, qu’il faut que mon amour soit bien grand pour résister aux soupçons qui viennent l’assaillir ? Je ne sais rien de toi, sinon que je t’ai rencontrée par hasard dans ce quartier désert que je n’aurais jamais songé à habiter, si des circonstances particulièrement tristes ne m’avaient fait rechercher la solitude. Certes, tu es admirablement belle, et tous les hommes doivent te désirer. Rien ne me prouve que ces mystérieux amis, dont tu m’as parlé, ne soient pas tes amants. Tu gardes le silence, et tu te condamnes toi-même par cette obstination incompréhensible. T’ai-je jamais donné l’occasion de douter de la sincérité de ma tendresse ? S’il s’agissait d’un secret, tu n’hésiterais pas à me le confier, parce que deux êtres qui s’aiment n’ont qu’un même cœur et qu’une même conscience. C’est donc que ta con-