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LE CENTENAIRE D’EMMANUEL

Et ma voix s’élevait, dominant le fracas de la tempête ; elle s’élevait avec des sonorités de clairon, disant à la nature ma joie, mes tourments, l’enfer de ma vie et l’ensoleillement de mon rêve. Je parlais, je parlais, et les grands arbres s’inclinaient avec des murmures ; les clameurs aiguës du vent secouaient les échos comme les applaudissements d’un public en délire.

Tout à coup, ainsi que les rideaux d’un tabernacle qu’on enlève, les nuages d’argent, en s’enroulant à larges volutes, découvrirent le soleil monstrueux, effroyable, comme un lac de flamme !… Brusquement, je cessai de m’entendre ; tout devint vague… Les déchaînements de la nature s’affaiblirent autour de moi, une douleur atroce me traversa le cerveau, et il me sembla que je retombais dans la néant…

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Cet étrange récit fut fait à l’hôpital, par un pauvre fou qu’un tombereau avait renversé sur un chemin désert aux premières lueurs du matin. Le conducteur, encore à moitié endormi, n’avait pu retenir ses chevaux à temps, et la roue de la voiture avait passé sur les jambes du malheureux en les broyant au-dessus du genou. On dut pratiquer l’amputation, mais le malade était dans un tel état d’épuisement qu’il mourut quelques heures après.