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UNE VENGEANCE

ment l’entretenait de mille choses légères et tendres, s’arrêtant, parfois, comme pour écouter ses réponses.

Des phénomènes singuliers se passaient en lui maintenant : il confondait l’imaginaire et le réel, n’ayant même plus conscience de son état. Une présence flottait dans l’air, une âme l’appelait, s’efforçait de transparaître, de s’assimiler à la sienne. Il vivait double, en illuminé. Un visage se penchait sur le sien, un baiser lui fermait la bouche, au moment où il allait parler ; des affinités de pensées féminines s’éveillaient en lui, répondant à ce qu’il disait, c’était un dédoublement de lui-même tel, qu’il sentait comme en un brouillard fluide le parfum vertigineusement subtil de sa bien-aimée ; et, la nuit, entre la veille et le sommeil, des souffles entendus très bas le secouaient comme un courant électrique. La morte le possédait déjà, ainsi que l’avait fait la vivante, complètement, exclusivement.

Dans ses rares instants de lucidité, il ne se plaignait pas ; sa douleur était trop profonde pour s’exhaler en lamentations banales.

Pour ceux qui jugent superficiellement, les peines muettes n’existent pas, et les grands esprits, suivant l’opinion de la foule, doivent sentir s’émousser en eux, la faculté de subir réellement les tourments ou les voluptés qui leur sont dévo-