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ROME

âme chrétienne, notre bon Frère sourit une dernière fois, puis s’abattit. »

Alors ce furent les suprêmes angoisses. L’agonisant se mit à prier avec force, d’une voix haletante et saccadée. Manifestement, il luttait contre un ennemi qui était là : « Notre-Dame du Sacré-Cœur, criait-il, priez pour nous… O Notre-Dame du Sacré-Cœur, priez pour nous ! » Et, plus de trente fois, sans interruption, il répéta la même prière. Une expression d’épouvante avait contracté son beau visage, tout à l’heure extasié. Un âpre et dédaigneux sourire plissait ses lèvres. Des mots violents sortaient de sa bouche : « Va-t’en !… Je me moque de toi… Tu ne peux rien sur moi… Il fallait venir plus tôt, si tu voulais… Je me moque de toi… » Le calme revint. Le visage reprit sa physionomie sereine et douce. Le bon Frère récita les premiers versets du Te Deum qu’il interrompit soudain par cette fière exclamation : « Oh ! triomphe ! Je me moque de toi. Quel beau triomphe ! » Le Père donne au mourant l’indulgence plénière in articulo mortis. « Confiance en Marie ! dit le mourant, confiance en Marie ! » Puis, lentement, avec le Père : « Aimé soit partout le Sacré Cœur de Jésus !… Notre-Dame du Sacré-Cœur, priez pour nous ! » Les forces lui manquèrent pour invoquer saint Joseph. Et suavement, sans larmes ni sanglots, tandis que, autour de lui, ses Frères récitaient le chapelet, et qu’à l’église, on commençait l’office du Vendredi saint, l’âme du frère William Neenan faisait son entrée dans la lumière éternelle.

Au moment où l’on ensevelissait la dépouille mortelle, le frère Verjus, avec cette naïve candeur et simplicité d’enfant qu’il gardera toute sa vie, glissa dans le cercueil une lettre où il rappelait à l’âme envolée la promesse qu’elle lui avait faite de ne pas oublier au ciel « la grande grâce » des Missions et du martyre.