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Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/214

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— 1814 —

que ceux qu’il allait combattre ; que son absence allait leur laisser le champ plus libre... Ces insinuations n’étaient qu’indirectes ; mais on ne pouvait se méprendre sur le personnage auquel elles s’adressaient[1]. La violence des accusations s’accrut encore lorsque l’Empereur vit que ce dignitaire continuait avec sang-froid, dans un coin du cabinet, une conversation entamée avec le roi Joseph... Je revis Napoléon plus tard : il n’avait pas répondu à plusieurs notes dans lesquelles je lui exposais que le Trésor public perdait chaque jour quelques-unes de ses communications avec les caisses des départements, et que bientôt un parti de Cosaques suffirait pour lui enlever celles qui lui restaient encore. Je lui proposais, dans mon devoir, les mesures qui pouvaient prévenir une pénurie complète de ressources ; voici sa réponse : « Mon cher, si l’ennemi arrive aux portes de Paris, il n’y a plus d’Empire. » Ce sont là les derniers mots que m’adressa Napoléon[2]. » Dans la nuit du 25, l’Empereur livra aux flammes ses papiers les plus secrets, dit à sa femme et à son fils un adieu long, déchirant, qui devait être éternel, et quitta les Tuileries à trois heures du matin.

Pour la première fois, depuis l’origine de notre histoire, l’Europe entière s’avançait contre nous. 700,000 soldats, premier ban de sa population armée, étaient alors en marche pour renverser la puissance impériale ; 160,000 Anglais, Espagnols et Portugais, conduits par Wellington, avaient déjà franchi les Pyrénées à la suite des maréchaux Soult et Suchet ; 80.000 Autrichiens, Illyriens, Italiens, commandés par les généraux de Bellegarde et Bubna, s’efforçant de rejeter l’armée du prince Eugène hors de la péninsule italique, cherchaient à se frayer, à travers les Alpes, un chemin jusqu’à Lyon ; 12,000 Hollandais et 8,000 Anglais, aux ordres du général Graham, donnant la main aux 80,000 Suédois, Hanovriens,

  1. M. de Talleyrand.
  2. Comte Mollien, Mémoires d’un ministre du Trésor, t. IV.