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— 1800 - 1807 —

France depuis dix ans, il était inconnu à une partie des soldats ; les autres l’avaient oublié, et ses trahisons, divulguées par Moreau lui-même ôtaient tout souvenir de ses services à ceux qui auraient pu se les rappeler. « Si j’eusse été porté au crime, a dit Napoléon, ce n’est pas sur Pichegru, qui ne pouvait plus rien, que j’eusse dû frapper, mais bien sur Moreau, qui, en cet instant, me mettait dans le plus grand péril. Si, par malheur, ce dernier se fût aussi donné la mort dans sa prison, il aurait rendu ma justification bien autrement difficile, par les grands avantages que je trouvais à m’en défaire. Quel crime m’aurait été plus profitable que l’assassinat du comte de Lille et du comte d’Artois ? La proposition m’en fut faite plusieurs fois par... et par... ; il n’en eût pas coûté 2 millions : je l’ai rejetée avec mépris et indignation : aucune tentative n’a été faite, sous mon règne, contre la vie de ces princes. Lorsque toutes les Espagnes étaient en armes au nom de Ferdinand, ce prince et son frère don Carlos, seuls héritiers du trône d’Espagne, étaient à Valençay, au fond du Berri ; leur mort eût mis fin aux affaires d’Espagne ; elle était utile, même nécessaire. Elle me fut conseillée par... ; mais elle était injuste et criminelle. Ferdinand et don Carlos sont-ils morts en France[1]? » Napoléon l’a dit avec vérité : « Pichegru se vit dans une situation sans ressource ; son âme forte ne pût envisager l’infamie du supplice ; il désespéra de ma clémence ou la dédaigna, et se donna la mort. »

  1. Mémoires de Napoléon. Les deux noms laissés en blanc dans les Mémoires sont ceux de Fouché et de M. de Talleyrand. M. de Montholon, en nommant le premier, dans ses Récits de Sainte-Hélène, ajoute : « L’empereur nous disait que Fouché lui avait offert plusieurs fois de le défaire de tous les princes de la famille royale, à raison d’un million par tête. » Quant à M. de Talleyrand, nous tenons d’un autre compagnon de l’Empereur à Sainte-Hélène, que ce dernier disaît à cette occasion : « Le prince de Bénévent ne comprenait rien à mes scrupules ; il ne voyait dans un acte de cette nature qu’une simple mesure politique, que l’accomplissement d’un de ces devoirs rigoureux commandés aux gouvernements par le salut public et par le besoin de leur conservation. »