Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 1.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
— 1800 - 1807 —

trer chez aucun habitant, sans parler à personne, et ne restant, à chaque voyage, que quatre ou cinq heures au plus. » Les lois rendues contre l’Émigration punissaient de la peine de mort tout émigré qui, ayant porté les armes contre la France, rentrait sur le territoire de la République : les aveux que venait de faire le jeune prince dictèrent la sentence et, peu d’instants après l’avoir entendue, cet infortuné, dont on creusait la fosse pendant le jugement, tombait sous les balles des gendarmes d’élite. Sa comparution devant le conseil, son interrogatoire, la délibération de ses juges, sa condamnation et son exécution, avaient à peine pris trois heures[1].

M. de Talleyrand avait une position tout exceptionnelle au milieu des hommes du gouvernement consulaire. Prêtre, ses rapports et ses votes à l’Assemblée constituante avaient puissamment contribué à la constitution civile du clergé et à la vente de ses biens ; gentilhomme issu d’une des premières maisons du royaume, on l’avait vu occuper les plus hauts emplois sous la République, jurer haine aux rois et à la royauté, et fêter, comme ministre, la commémoration du 21 janvier ;

  1. Les courses du duc d’Enghien à Strasbourg avaient acquis assez de notoriété pour alarmer sa famille ; son grand-père, le prince de Condé, éclairé par une triste prévision, lui écrivait d’Angleterre, neuf mois auparavant :
    Wanstead, le 16 juin 1803.

    « Mon cher enfant,

    On assure ici, depuis plus de sis mois, que vous avez été faire un voyage à Paris ; d’autres disent que vous n’avez été qu’à Strasbourg. Il faut convenir que c’était un peu inutilement risquer votre vie et votre liberté ; car, pour vos principes, je suis tranquille de ce côté-là ; ils sont aussi profondément gravés dans votre cœur que dans les nôtres. Il me semble qu’à présent vous pourriez nous confier le passé, et, si la chose est vraie, ce que vous avez observé dans vos voyages.

    À propos de votre santé, qui nous est si chère à tant de titres, je vous ai mandé, il est vrai, que la position où vous êtes pouvait être très-utile à beaucoup d’égards. Mais vous êtes bien près, prenez garde à vous, et ne négligez aucune précaution pour être averti à temps et faire votre retraite en sûreté, en cas qu’il passât par la tête du Consul de vous faire enlever. N’allez pas croire qu’il y ait du courage à tout braver à cet égard.

    « Louis-Joseph de Bourbon »