Aller au contenu

Page:Vaulabelle - Histoire des deux restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe, tome 2.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203
— 1815 —

l’opinion que je m’étais formée de la situation de la France est exacte. Le gouvernement actuel est bon pour les prêtres, les nobles, les vieilles comtesses d’autrefois ; il ne vaut rien pour la génération actuelle. Le peuple a été habitué par la Révolution à compter dans l’État ; il ne consentira jamais à retomber dans son ancienne nullité et à redevenir le patient de la noblesse et du clergé... L’armée me sera toujours dévouée. Nos victoires et nos malheurs ont établi entre elle et moi un lien indestructible ; avec moi seul elle peut retrouver la vengeance, la puissance et la gloire ; avec le gouvernement actuel, elle ne peut gagner que des injures et des coups. »

L’Empereur, en prononçant ces mots, gesticulait et marchait avec précipitation ; il avait plutôt l’air de parler seul que de parler à quelqu’un. Tout à coup il s’arrête, et, me jetant un regard de côté, il me dit : « X... croit-il que ces gens-là tiendront longtemps ? — Son opinion, sur ce point, est entièrement conforme à l’opinion générale, c’est-à-dire qu’on pense en France et qu’on est convaincu que le gouvernement royal marche à sa perte. — Mais comment tout cela finira-t-il ? Croit-on qu’il y aura une nouvelle révolution ? — Sire, les esprits sont tellement mécontents et exaspérés, que le moindre mouvement partiel entraînerait nécessairement une insurrection générale, et que personne ne serait surpris qu’elle éclatât au premier jour. — Mais que feriez-vous si vous chassiez les Bourbons ? Établiriez-vous la République ? — La République, Sire, on n’y songe point. Peut-être établirait-on une régence. — Une régence ! s’écria-t-il surpris et avec une grande véhémence, et pourquoi faire ? Suis-je mort ? — Mais, Sire, votre absence. — Mon absence n’y fait rien. En deux jours je serais en France, si la nation me rappelait... Croyez-vous que je ferais bien de revenir ? ajouta l’Empereur en détournant les yeux, » mais il me fut facile de remarquer qu’il attachait à cette question plus d’importance qu’il ne voulait le faire paraître, et qu’il attendait ma réponse avec anxiété. « Sire, lui dis-je, je n’ose résoudre personnellement une semblable question ; mais... — Ce n’est point cela que je vous demande, me dit-il en m’interrompant brusquement ; répondez oui ou non. — Eh bien, oui, Sire. — Vous le pensez ? — Oui, Sire ; je suis convaincu, ainsi que M. X..., que le peuple et l’armée vous recevraient en libérateur et embrasseraient votre cause avec enthousiasme. — X... est donc d’avis que je revienne ? dit l’Empereur avec un accent inquiet et ému. — Nous avons prévu que Votre Majesté m’interrogerait sur ce point, et voici textuellement sa réponse : « Vous direz à l’Empereur que je n’ose prendre sur moi une question aussi importante, mais qu’il peut regarder comme un fait positif et incontestable que le gouvernement actuel s’est perdu dans l’esprit du peuple et de l’armée que le mécontentement est au comble, et qu’on ne croit pas qu’il puisse lutter longtemps contre l’animadversion générale.